Notre artiste peignait bien en
extérieur
La disparition des archives familiales ne nous permet pas de
connaître le parcours qui conduit ce fils de sous-préfet
à une carrière artistique mais par chance, Albert
de Moncourt a laissé un grand nombre d'oeuvres qui nous
permettent de mieux cerner son art et en particulier sa technique.
La matière peu épaisse, laissant visible les coups
de pinceaux, prouve une grande rapidité d'exécution.
Ce fait est corrobore par un témoignage concernant Henry
Daras qui relate comment les deux peintres, Daras et de Moncourt,
partaient peindre sur le motif, le premier en étant encore
au cadrage de sa composition alors que le second avait déjà
termine. Le petit chevalet portatif et la mallette de matériel,
presentes dans l'exposition, prouvent que notre artiste peignait
bien en extérieur ; abordait-il les grands formats ou
s'en tenait-il aux études sur fibrociment ? II est difficile
d'y répondre. Nous pouvons seulement constater que le
fibrociment était facile à trouver, peu onéreux
et que ses petites dimensions (30 x 30 cm) en faisaient un support
idéal lors des sorties. Ainsi, plusieurs grandes toiles
ont été au préalable esquissées
sur un format moindre en fibrociment
Hospice de Rue, huile sur toile, 73 x 54,
Crédit photo : D.
Bettefort, musée Boucher de Perthes.
Collec. part.
Pas ou peu de repères
chronologiques
Exécutant ses oeuvres rapidement, Albert de Moncourt
omet systématiquement de les dater. Les rares portant
une date sont les portraits de ses proches sur fibrociment,
comme par exemple celui de sa fille Jacqueline. Ces portraits
ont une autre particularité, ils sont signés du
monogramme AS alors que
les autres tableaux portent la mention "A de Moncourt".
L'absence de date pose le problème de l'étude
de l'évolution du style du peintre. Les oeuvres identifiables
exposées aux salons nous donnent pourtant quelques repères
chronologiques en supposant qu'elles ont été realisées
quelques mois précédant l'envoi à Paris.
Nous savons ainsi que les trois toiles de la chapelle du Saint-Esprit
de Rue furent réalisées entre 1884 et 1887.
Ce gout pour la peinture historique n'est pas étranger
à l'époque et nous pouvons présumer une
date proche pour la peinture ornant l'église du Crotoy
; une reconstitution du port du Crotoy au temps de Jeanne d'Arc.
Les Saints Firmin et Corneille au-dessus desquels est esquissée
une vue de la ville d'Amiens est dans la même veine historique,
mais elle doit être plus tardive. En effet l'église
Saint-Corneille de Favières fut restaurée en 1912
grâce à la Société des Antiquaires
de Picardie sur l'initiative d'Albert Siffait de Moncourt. Il
semble donc logique que le peintre ait attendu la rénovation
de l'église avant de la décorer. Des peintures
antérieures àces visions médievales concernent
Paris comme Un chantier au boulevard Vaugirard, premier tableau
du peintre au Salon des Champs-Elysées de 1882 et bien
sur, la Picardie. Autour de 1900, se situent les toiles réalistes
- La culture ou L'industrie ) - dans la mouvance des décors
peints pour l'Hôtel de ville de Rue, l'actuel beffroi,
inauguré en 1902. Ces derniers prouvent l'intérêt
de Siffait de Moncourt pour un phénomène de mode,
l'ornement des mairies : "Le principe si fécond
et si juste de la décoration des édifices civils,
ou se concentre la vie moderne, n'a etc adopte qu'il y a environ
six ans. Nul doute qu'on arrive d'ici quelques années
a doter nos mairies d'un ensemble de peintures qui, par un heureux
mélange d'allégories et de réalité,
présenteront comme un reflet du mouvement social (Rapport,
1885).
Le Crotoy
Crédit photo : D.
Bettefort, musée Boucher de Perthes
"Je préfère la lumière du Nord
pour sa délicatesse et ses riches nuances. Dans
le ciel du midi, il ne se passe rien. dans le nôtre,
tous se passe".
Albert Siffait de Moncourt, 1925
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La maison jaune, huile
sur fibrociment
40 x 32,7 - Crédit
photo : D. Bettefort, musée Boucher de Perthes.
Coll. part.
Une
abondante production
272 peintures ont été repertoriées aujourd'hui
grâce au travail infatigable de Dominique Daras, arrière-petit-fils
du peintre. L'inventaire de 1940 mentionne 40 grandes toiles,
120 moyennes et 200 petites, celui de 1941 identifie 85 tableaux
et dénombre 30 études sur bois. environ 200 sur
fibrociment, approximativement 160 toiles détériorées
et 7 roulées sur des batons.
Albert de Moncourt en revanche semble avoir peu dessiné.
Trés peu d'oeuvres graphiques sont conservées
et peu furent présentées au Salon, un seul, Province,
correspond a l'étude d'un tableau éponyme ; le
pastel et l'oeuvre peinte furent exposées respectivement
en 1897 et 1898. Une esquisse peinte sur toile montre, côte
à côte, la couverture du Beffroi de Rue, un détail
de la facade de la chapelle du Saint-Esprit et le visage d'un
jeune homme qui sont autant de travaux préparatores pour
des toiles futures : le détail du Beffroi est visible
dans la toile Place du marché (Rue). Après avoir
travaillé en extérieur, repris certains motifs,
l'artiste peint directement sur la toile ou le bois dans son
atelier, comme le montre son autoportrait. Assis devant son
chevalet, le peintre, la palette à la main, réalise
une grande composition où se devinent une rue et de hauts
édifices. Une étude préalable est-elle
posée sur le plan de travail masque par le peintre ou
s'agit-il d'un travail de memoire ou de reconstitution historique
comme pour cette toile représentant l'eglise Saint-Wulphy
de Rue dont le peintre ne vit jamais le haut clocher.
Hameau de Larronville.
Crédit photo : D. Bettefort, musée Boucher de
Perthes.
Coll. part.
Un
amateur éclectique, amoureux de sa région
Nous le voyons, les oeuvres qui jalonnent la production d'Albert
de Moncourt prouvent son indépendance d'esprit face a
l'enseignement classique qu'il dut recevoir et surtout un éclectisme
dans les thèmes abordes : sujets historiques, portraits,
thèmes réalistes, allégories, témoignages
objectifs ou visions partielles, transformées des lieux.
Délaissant un court instant la peinture, il réalise
meme un plateau en cuivre repousse qu'il expose au Salon de
1897. Abordant tous les sujets, il s'intéresse tout particulièrement
au cadrage de ses compositions. Cette préoccupation le
conduit a realiser plusieurs peintures sur le même thème
-Chapelle du Saint-Esprit (Rue)- dont le rendu bien évidemment
diffère, suivant l'angle de vue choisit. Beaucoup de
fibrociments témoignent du goût d'Albert de
Moncourt pour des cadrages très serrés, mettant
l'accent sur un détail (Perron du pensionnat Saint-Vulfran)
ou une scène qui peut nous sembler sans intêret,
vague silhouette passant devant un mur. Ces démarches
en adéquation avec celles des nouveaux courants picturaux
qui agitent le monde de l'art au début du XXe siècle
ne font pas de notre peintre, qui reste un amateur, un précurseur.
Esprit curieux, il rencontre de nombreux artistes fort éloignés
du courant officiel et classique : il réalise le portrait
de la fille de Braquaval, se lie d'amitié avec le peintre
symboliste Henry Daras, fait visiter la chapelle du Saint-Esprit
de Rue a Rodin, collectionne des oeuvres de Le Sidaner. Indifférent
à l'effervescence artistique parisienne et à la
postérité, Albert de Moncourt souhaitait certainement
n'être que le chroniqueur pictural de sa Picardie qu'il
aimait tant.
Par rapport à ses contemporains voyageant en quête
de nouvelles sources d'inspiration, de Moncourt est d'une nature
casanière. Les oeuvres qui ne sont pas en relation avec
la Picardie sont rares et dictées par des impératifs
familiaux, comme les vues de Paris ou il a un appartement, ou
par le front pour les toiles peintes en Champagne. Ses obligations
l'éloignent peu de la Picardie, et lorsqu'il la quitte,
c'est pour retrouver des paysages semblables dans le nord de
la France ou en Belgique.
Sans conteste, Albert de Moncourt se plait a représenter
les villes et villages, la campagne et la cote picardes.
A son oeil de peintre vient s'ajouter celui d'ethnologue qui
s'attache au détail et nous décrit des traditions
aujourd'hui oubliées.
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